("Chronique de Paris" publiée dans le Quotidien d'Oran, le 27 mars)
Sur le plan des relations politiques internationales, la semaine fut particulièrement intense. En Algérie tout d’abord. C’est l’armée qui a décidé le changement. Mardi après-midi, le patron de l'armée et général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah a demandé l'application de l'article 102 de la Constitution, qui prévoit «l'empêchement» du chef de l'État pour «cause de maladie grave et durable». «Il devient nécessaire, voire impératif d'adopter une solution pour sortir de la crise, qui répond aux revendications légitimes du peuple algérien, et qui garantit le respect des dispositions de la Constitution et le maintien de la souveraineté de l'État. Une solution à même d'aboutir à un consensus de l'ensemble des visions, et faire l'unanimité de toutes les parties, à savoir la solution stipulée par la Constitution, dans son article 102», a déclaré celui qui avait pourtant promis à Abdelaziz Bouteflika de l'amener vers un cinquième mandat.
Pourquoi le président Bouteflika, quasiment le dernier grand acteur de la guerre d’indépendance, dans une situation de pouvoir quasi absolu mais bloqué par son âge dans une situation d’impuissance, voire d’impotence, n’a-t-il pas fait lui-même, le choix du départ, de la retraite, alors que des dizaines voire des centaines de milliers de manifestants le réclamaient dans des grands rassemblements populaires et pacifiques ?
« Mal aimé ! Je suis le mal aimé » pourra après Claude François, se plaindre, s’il chantait encore, le Président Bouteflika. Mais la situation est plus sérieuse. Le pouvoir gouvernemental, les principaux partis au pouvoir, les instances intermédiaires, n’ont su, à l’évidence, pas prendre conscience de la gravité de la situation et de l’urgence de décisions tout aussi politiques que démocratiques. Il est frappant de voir que c’est l’armée algérienne qui règlement cette sortie de crise. Sortie ? Pas tout à fait. Quand les élections auront-elles lieues ? Qui dirigera dans l’attente et, dans les prochaines échéances républicaines, quelles forces, si possibles un peu nouvelles, se présenteront devant des électeurs, qui ont pour leur part beaucoup envie de renouveau et qui attendent ces échéances démocratiques avec impatience ?
L’Algérie, toujours très proche de la France…
De l’autre côté de la Méditerranée, notre Mer commune, les commentaires français sur la crise algérienne ont été, ces dernières semaines, tant dans les milieux politiques que même dans les médias, d’une grande retenue. No comment. Ah ! Les rapports Franco-Algériens ! Tellement puissants, souvent marqués de graves conflits comme évidemment la guerre d’Indépendance, mais toujours, paradoxalement prégnants par les relations proches, affectives, amicales, mêlées parfois de détestation mais toujours inscrites dans un sentiment fort de proximité des deux pays de part et d’autre de la Méditerranée. Rappelons que la première population d’immigration en France est algérienne ou d’origine algérienne (et les premiers mouvements de populations algériennes vers la France remontent à 1848 !). « En mars 1871, la nouvelle que s’était constitué la Commune de Paris entraîna une insurrection en Algérie. La Kabylie toute entière était soulevée et commençait à déferler sur Alger, dégarnie de troupes. Le nouveau gouverneur, l’amiral De Gueydon, mit plusieurs semaines à juguler la révolte » rapporte le site « La Commune et l’Algérie ». Le colonialisme a été une horreur. L’immigration algérienne en France à partir des années 1965, n’était guère meilleure. Mais les relations particulières entre la France et l’Algérie ont été continues, moins peut-être entre leurs gouvernements qu’entre leurs peuples. Bref, l’histoire commune est ancienne, passionnée et continue. Heureusement ! Et pourvu que ces relations fortement affectives durent le plus longtemps possibles entre nos deux pays, seulement séparés par une mer mais largement reliés par de multiples liens.
Macron : « je ne négocierai rien !.. Peut-être »
Le vieux Président algérien est sur la voie express d’une sortie mais que dire du très jeune et sémillant président français ? Ah ! Non, il n’est pas menacé, lui, d’un départ brutal. Mais l’énervement subsiste. Et on peut penser quelque part que les innombrables manifestations en France des « Gilets jaunes », ont peut-être quelque peu inspiré les fortes mobilisations populaires et démocratiques algériennes. Sans rapports évidemment. Mais dans le style : publiques, cool, amusées et avec plein de jeunes.
Alors, certes, en France, l’absence totale de compromis voulue par le gouvernement a entraîné une certaine montée des violences. Il est vrai que la « tactique » d’Emmanuel Macron face à la plus grande crise sociale vécue en France depuis au moins Mai 1968 ne laisse pas de surprendre.
Nouvellement élu, le jeune Président, issu du gouvernement de gauche de François Hollande a imposé une ligne ultra-libérale sur le plan économique qui se résume à : « tout faire pour que les directions d’entreprises réalisent le maximum de bénéfices », pognons qu’elles investiront après dans leurs futurs investissements, et qui bénéficieront aux salariés qui beaucoup plus tard, seront récompensés de leurs sacrifices salariaux… Hélas, Hélas, seuls les actionnaires ont pris les bénéfices et ne les ont pas réinvestis.
Pas de chance, la contestation sociale et fiscale a donc revu le jour (puis le mois, le trimestre, l’année) avec la très forte mobilisation sociale des « Gilets Jaunes ».
Après des mois d’affrontements, de manifestations, de contestations à tous niveaux, on ne peut être que sidéré par la dureté apparente du gouvernement. Certes, le président Macron fait des one-man-shows pendant des heures dans les télés pour expliquer longuement qu’il est très intelligent, qu’il sait relever ses manches de chemises, mais qu’il ne cède rien.
Pas tout à fait : annonce en décembre d’un budget de 10 milliards, en réalité, beaucoup moins. Obligé de reculer face à l’ampleur de la mobilisation, le « président des riches » a été contraint de faire quelques concessions - recul sur l’augmentation des taxes sur le carburant, recul sur la CSG pour les retraités touchant moins de 2 000 euros prime d’activité pour 55% des salariés au Smic dont il a annoncé l’augmentation immédiate pour le début de l’année 2019 de 100 euros au lieu d’une augmentation progressive sur les années à venir. Rien pour les classes populaires au-dessus du Smic, rien pour les classes moyennes, menaces sur les retraités.
Mais le plus grave n’est pas là. Mr Emmanuel Macron ne sait pas négocier.
Le mouvement social le plus grave qu’a connu la France depuis plusieurs décennies et qui peut durer encore plusieurs mois, aurait pu s’arrêter si le gouvernement français avait ouvert des négociations. Il en a été incapable. Certes, le mouvement des Gilets jaunes, désorganisé et divisé dans ses objectifs, était lui-même dans l’impuissance de nommer des négociateurs nationaux. Mais il faut pourtant pour réinstaurer la paix sociale en France par des négociations et des accords sociaux nationaux. Le gouvernement a en réalité besoin d’interlocuteurs.
A défaut des Gilets jaunes, il restait les confédérations syndicales traditionnelles (CFDT,CGT, FO…). Mais le même président Macron les avait soigneusement flingué dans les premiers mois de son nouveau mandat. Chapô, l’artiste.